Guyane française 2021
Date : du 23 juin au 28 août 2021.
Bonjour à tous, voici le compte rendu de mon voyage herpétologique en Guyane française, qui s’est déroulé du 23 juin au 28 août 2021 soit un peu plus de 2 mois. Ce voyage était naturellement centré en priorité sur la recherche des serpents, avec les lézards, amphibiens et invertébrés dans un second temps.
La majorité des serpents d’Amérique du sud étant nocturnes, je suis sorti tous les soirs, entre 20 heure et minuit, ce qui correspond à leur début d’activité nocturne de recherche de nourriture, le reste de la nuit étant moins propice. Je suis également beaucoup sorti le jour à la recherche des quelques espèces diurnes, et également pour admirer la jungle et trouver de nouveaux biotopes propices aux serpents.
La Guyane française compte une centaine de serpents différents, en immense majorité des "couleuvres". Il n’y a qu’une douzaine d’espèces vraiment dangereuses pour l’homme : 6 serpents corail, et 6 crotales. S’ajoute à cela 6 ou 7 couleuvres venimeuses pouvant être considérées comme dangereuses suite à des morsures ayant mené à des complications1, mais nous sommes déjà très loin des serpents corail et des crotales en terme de dangerosité.
Dans ce rapport, je vous expliquerai à chaque fois la signification des noms scientifiques des serpents, car je pense que le nom binominal possède une mauvaise réputation de nom "latin" incompréhensible à dormir debout. Je pense que si expliqué, un nom scientifique est un formidable outil de sensibilisation et d’éducation pour le profane ou le phobique des serpents car il renferme toujours une signification fascinante sur le comportement, l’écologie ou la morphologie de l’espèce, voire même des circonstances de sa découverte. De plus, les noms vernaculaires, s’ils correspondent à des espèces bien précises en métropole, sont souvent des appellations très vagues sous les tropiques, un nom commun va souvent désigner plusieurs espèces et n’a rien "d’officiel".
Le premier soir en descendant de l’avion, je dépose ma valise à mon airbnb et rejoins mon meilleur ami, Mike Rol, qui m’emmène immédiatement chercher des serpents. Nous arrivons au Rorota, un sentier en forêt secondaire, et nous trouvons directement sur le parking mon tout premier serpent exotique sauvage, une petite couleuvre venimeuse mais inoffensive pour l’homme du nom de Thamnodynastes pallidus. Nous en trouverons 4 ce soir là. C’est un petit serpent qui atteint au maximum une soixantaine de centimètres, qui se nourrit principalement d’amphibiens mais aussi d’invertébrés comme des larves de coléoptères. "Thamnodynastes" vient du grec thamnos (buisseau, arbrisseau), et également du grec dynastes qui signifie "qui a le pouvoir, seigneur", donc littéralement "seigneur des arbrisseaux", en allusion à son mode de vie arboricole. "Pallidus" vient du latin et signifie jaunâtre en référence à sa coloration.
Le lendemain, je retournerai de jour sur le sentier mais ne verrai que des petits singes écureuils et quelques beaux lézards du nom de Kentropyx calcarata. Le soir, je décide d’aller chercher le graal des serpents guyanais, le serpent à sonnette sud américain (Crotalus durissus), un des serpents les plus rare de Guyane, dans une plaine près du centre spatial guyanais, mais sans succès.
Quelques jours après, ne trouvant aucun serpent, je retournerai au Rorota observer quelques Thamnodynastes. Le 28 juin, en pleine après-midi, dans la jungle du mont Grand Matoury, je tombe nez à nez avec un beau petit crotale du nom de Bothrops atrox, bien connu des locaux sous le nom de grage. Il est considéré comme le plus dangereux serpent de Guyane : c'est une espèce dite "anthropophile", qui s’accommode sans mal des modifications de son habitat, et aime vivre prêt de l'homme qui attire les rongeurs avec ses potagers et ses sacs de riz. Les morsures sont fréquentes, les morts moins, heureusement. Il est petit et à cette taille, ils sont très vifs et très nerveux, il me filera entre les doigts mais j’aurai quand même eu le temps de l’immortaliser. "Bothrops" vient du grec bothros (fosse, fossette), et ops (face, visage) en référence aux fossettes thermosensibles (ou fossettes loréales) situées entre l’oeil et la narine qui les différencient des vipères de l’ancien monde comme notre petite vipère aspic. Ces fossettes leur valent d’ailleurs le surnom de "serpents à 4 narines" par certains indiens d’Amérique du Sud2.
Le 2 juillet, un serpent trouvé de nuit sur le sentier de la réserve Trésor en forêt de Kaw fera mon bonheur : Oxyrhopus melanogenys, une petite couleuvre venimeuse (mais inoffensive pour l’homme) qui chassait à quelques mètres de moi hors du sentier. Ce serpent moyen atteint au maximum 1,10m et se nourrit quasi exclusivement de petits lézards fouisseurs. C’est une espèce mimétique d’un dangereux serpent corail du nom de Micrurus hemprichii, mais ses motifs irréguliers, ses grands yeux et surtout la présence d’une écaille loréale entre la préfrontale et la nasale ne fait aucun doute. "Oxyrhopus", genre décrit par Wagler en 1830, vient du grec oxyrropos, qu’il traduit par le latin "qui celeriter repit", signifiant "qui rampe promptement", peut être en référence à la relative rapidité de déplacement de ces serpents. "Melanogenys" vient du grec melanos (noir) et genys (mâchoire), en référence à la mâchoire noire de ce serpent.
Le lendemain soir, prospectant la forêt du bagne des annamites, je fais la connaissance d’une espèce particulièrement combative, Helicops angulatus. C’est une sorte de version énervée de notre petite couleuvre vipérine européenne : elle peut atteindre le mètre, se nourrit de poissons, d’amphibiens et parfois de gros vers de terre, et mord très sévèrement quiconque essaie de l’importuner. Elle est non venimeuse. Sur le chemin du retour, sur la route de l’est, je passe très près d’une grosse silhouette serpentiforme au milieu de ma voie. Ayant aperçu une tête fortement triangulaire, je soupçonne une gros crotale. En descendant, je me rends compte de ma chance inouïe, c’est un jeune boa constricteur d’environ 1 mètre. Pouvant atteindre 4,50m, c’est un serpent qui a fait couler beaucoup d’encre et a fait fantasmer les explorateurs du 18ème siècle. C’est un serpent que j’ai connu enfant en captivité chez des amis ou en animalerie, ce soir là, je l’ai vu sauvage et croyez moi, ça fait quelque chose. "Boa" est un très vieux terme cité par Pline l’Ancien (qui vivait au premier siècle) qui faisait référence à une légende de serpent mangeant les enfants en Italie et se nourrissant de lait de vache, d’où le nom de boa qui vient du latin bos (bœuf)3.
Le 6 juillet, en compagnie de Vincent Prémel dont je vous invite à aller voir la chaîne youtube ainsi que le site internet, nous cherchons les serpents sans relâche au bagne des annamites. Sur le chemin du retour, Vincent apercevra une petite couleuvre arboricole inoffensive du nom de Dipsas variegata. Ce petit serpent ne dépasse pas 80cm, et est malacophage : il se nourrit en majorité de gastéropodes. Le nom de "Dipsas" vient d’un verbe grec signifiant "j’ai soif de" ou "la soif" en référence à un serpent du même nom cité par Aristote comme ayant une morsure venimeuse provoquant l’aridité du palais. "Variegata" vient du latin variegatus, (varié), en référence à sa coloration. Ce serpent reste inoffensif. Avec Vincent, nous découvrons un super biotope à Micrurus surinamensis, le plus grand et le plus aquatique des serpents corail, sans toutefois y voir de serpent, hormis une belle anguille électrique.
Le lendemain, je décide d’y retourner avec l’espoir de le trouver. Au bout de 10 minutes de route, une surprise rouge, noire et blanche m’attends sur le bas côté… Micrurus surinamensis est là, sur le bas côté de la route, à deux doigts de se faire écraser par le flot incessant de voitures. Dans la littérature, sa taille maximale est donnée à 1,39m, mais plusieurs contact en Guyane m’ont assuré en avoir vu de plus grands, ce qui est plus que probable. C’est un serpent au venin neurotoxique, paralysant dont les effets sont semblables à ceux du curare. Il se nourrit quasi exclusivement de poisson, bien qu’il puisse aussi s’attaquer à d’autres serpents. Ce serpent peut infliger une morsure potentiellement mortelle mais heureusement, les serpents corail sont rares et les morsures quasi inexistantes. Bien qu’ayant trouvé mon espèce cible de la soirée, je décide quand même de retourner au bagne des annamites, et une autre Helicops angulatus me fera l’honneur de la photographier. "Helicops" vient du grec et signifie "qui a les yeux tourné" en référence aux yeux positionnés sur le dessus du crâne de ces serpents, et "angulatus" vient du latin et signifie "anguleux" en allusion aux écailles fortement carénées de l’espèce lui donnant un aspect anguleux selon les descripteurs.
Le lendemain soir, aucun serpent, mais je croiserai le chemin d’un très beau lézard, Plica umbra, qui dormait sur une branche en forêt de Kaw.
Le 10 juillet, arrivée au camp Bonaventure en forêt de Bélizon, où Mike et moi captureront un beau grage qui squattait sous le carbet de touristes, et que nous relâcherons en lieux sûr.
Le lendemain, toujours à Bélizon, rencontre d’un passionné de serpent qui deviendra un nouvel ami, Julien, avec qui nous sortirons le soir et qui trouvera le fameux serpent-corail imité par notre petite couleuvre noire et jaune vue précédemment. Ce serpent corail répond au nom de Micrurus hemprichii. Une de mes connaissances a frôlé la mort, mordu par ce serpent au Pérou. Il est d’un bleu irisé splendide. Il atteint 90cm et se nourrit principalement de serpents et de lézards. C’est un serpent vif et mordeur, qui comme tous les serpents corail, possède un venin neurotoxique. Inquiété, il présente parfois sa queue relevée devant son agresseur, qui peut la confondre avec sa tête. Les serpents corail font parti de la famille des élapidés : c’est également la famille des célèbres mambas, des cobras, et des serpents-marins. Les membres de cette famille sont tous venimeux, et possèdent en majorité une queue longue et effilée. Mais les corail font exception : ils possèdent une queue très courte et aplatie, ce qui explique leur nom de genre : "Micrurus" vient du grec mikros (petit) et oura (queue), littéralement "petite queue".
13 juillet, retour à la civilisation. Avec Alex, rencontré sur place, nous prospectons la route de Guatémala, entre Cayenne et Kourou, pour repérer les boas arboricoles (Corallus hortulana). Une petite membrane dans leurs yeux appelée le tapetum lucidum reflète la lumière, ce qui rend leur recherche plutôt facile4. Nous en trouverons 4, dont deux inatteignables. Ces boas peuvent atteindre 1,90m, et possèdent de grandes dents à l’avant du maxillaire. On a longtemps cru qu’elles servaient à attraper les oiseaux, en réalité, ces serpents se nourrissent en majorité de micro mammifères et de lézards qu’ils chassent en embuscade la tête en bas : leurs longues dents leur servent à retenir leurs proies en suspension. Sur le retour, Alex, que je soupçonne de s’être fait greffé un œil de ninja avec vision nocturne, repère une couleuvre au repos sur des branches. C’est une grande couleuvre diurne, Chironius carinatus, qui s’enfuiera rapidement.
Le lendemain, Alex m’appelle, me disant qu’il a trouvé mon bonheur : un serpent aveugle. C’est une vaste famille de serpents très petits, fouisseurs et ne distinguant que les changements de lumière avec leurs petits yeux atrophiés. Ils sont très discrets et ne remontent à la surface que très rarement, le plus souvent quand la pluie a inondé la galerie qu’ils occupaient. Ils se nourrissent principalement de fourmis et de leurs larves. Je prends ma voiture et fonce chez lui, et découvre un splendide Amerotyphlops reticulatus, le plus gros des serpents aveugles guyanais. "Amero" réfère au continent américain, "typhlops" vient du grec typhlos qui veut dire "aveugle" ou "sans ouverture" et ops veut dire "œil". Il doit mesurer environ 20 cm, pas plus. Depuis enfant je rêvais d’en voir un, c’est maintenant chose faite.
Le lendemain, je retourne voir les boas route de Guatémala et trouve un bel adulte d’environ 1,50m.
Le 17 juillet, je suis convié à un road cruising avec Alex. C’est une pratique qui consiste à rouler la nuit à faible allure et de faire traverser la route aux serpents suicidaires. C’est un bénéfice mutuel : nous leur sauvons la vie et ils nous offrent de belles photos. Cela permet également de voir des espèces fouisseuses souvent impossible à détecter en pleine jungle. Nous verrons un petit Oxyrhopus melanogenys, et mon tout premier serpent-rouleau, aussi appelé serpent tube (Anilius scytale). C’est un serpent unique en son genre, et même de sa famille : il est le dernier représentant d’une lignée de serpents primitifs : les aniilidés. Il est non venimeux et se nourrit majoritairement d’autres serpents, d’amphisbènes (des reptiles primitifs fouisseurs), et aussi parfois de lézards et d’anguilles. Il peut atteindre un mètre mais celui-ci est petit. Encore un serpent que je connaissais depuis l’enfance et que je rêvais de voir : c’est la consécration. C’est un serpent rigolo qui s’aplatit latéralement sure tout le corps quand on l’attrape.
Le lendemain soir, je prends la nationale et m’enfonce loin dans les terres et m’arrête dans un coin perdu au bord d’un petit sentier pour aller l’explorer. Je trouverai un énorme grage, d’une belle livrée claire atypique. Il est vraiment grand et doit mesurer 1,30m. Il était à mes pieds alors que je scrutais les branches au dessus de moi pour chercher des serpents et s’est trahit tout seul : il a simplement bougé une seconde et je l’ai entendu. Il m’offrira de superbes poses. J’ai enfin pu observer son fameux comportement bizarre qui consiste à faire bouger de petites zones de ses flancs. A ma connaissance, on ne sait pas pourquoi il fait ça. Nous avons vu précédemment que "Bothrops" est une référence à leurs fossettes thermosensibles entre l’œil et la narine, et "atrox" vient du latin et signifie cruel, menaçant, en référence au tempérament très irascible de l’espèce.
Le 23 juillet, au bord d’une mare sur la route de Kaw, je trouve avec une immense surprise une belle couleuvre arboricole normalement diurne : Leptophis ahaetulla. Je ne sais pas si c’est moi qui l’ai réveillé en bougeant la branche sur laquelle elle se reposait sans m’en rendre compte ou si elle était simplement en chasse nocturne. Inoffensive, elle atteint 1,50m au maximum et se nourrit principalement de grenouilles mais peut parfois s’attaquer à des lézards. C’est un serpent très gracieux, d’un beau vert émeraude. Inquiétée, elle ouvre normalement grand la gueule en faisant face à son agresseur, mais celle-ci ne daignera pas me le montrer. C’est impressionnant de la voir se camoufler à merveille dans la végétation et prendre la forme d’une liane ou d’une branche fine. "Leptophis" veut dire serpent mince en grec, et l’origine de "ahaetulla" est inconnue.
Deux jours après, en forêt de Kaw, je fais la rencontre d’un beau grage, lové au bord d’un chemin inondé. Maculé de gouttelettes de pluie, il est magnifique, et très coopératif, il me laissera l’approcher à quelques centimètres sans montrer le moindre signe d’inquiétude ou d’agressivité.
Le 29 juillet, je prospecte avec Alex le Loyola : une forêt secondaire péri urbaine. La soirée est sèche et peut prometteuse mais nous verrons une belle petite couleuvre dite « des jardins » répondant au nom de Mastigodryas boddaerti, couleuvre diurne inoffensive qui se nourrit de grenouilles, de lézards, d’oiseaux et de petits mammifères. Nous verrons également, un splendide serpent arboricole du nom d’Imantodes cenchoa. J’avais toujours rêvé de voir ce serpent. Il est si fin qu’on a peur de le casser. C’est un serpent vraiment atypique, avec une livrée splendide et une tête vraiment rigolote avec ses grands yeux exorbités. Il est venimeux mais reste inoffensif pour l’homme, et se nourrit majoritairement de lézards et de grenouilles. C’est un serpent qui porte bien son nom puisque "Imantodes" vient du grec imantos eides qui veut dire "semblable à une lanière, une ficelle", et "cenchoa" est dérivé du nom Cencoalt qui serait le nom donné à ce serpent par les habitants des Amériques.
Le 4 août, mon ami Julien sauve une grande couleuvre de la route : Spilotes sulphureus, et m’appelle pour aller la relâcher loin du danger des voitures. C’est un inoffensif mais puissant serpent qui sait se montrer intimidant en gonflant sa gorge d’air pour paraître plus gros. C’est un grand serpent qui peut atteindre 2,60m, et le nôtre fait bien deux mètres. Spilotes sulphureus mange principalement des oiseaux, surtout des poussins, ainsi que des rongeurs et des lézards qu’il tue par constriction. "Spilotes" vient du grec spilotos et veut dire "tâché", et "sulphureus" veut dire "de la couleur du souffre" en latin.
Je profite du lieux de la relâche pour suivre un sentier et trouve dans une souche pourrie une beau petit grage avec la tête toute noire. Il est bien camouflé et m’a fait une peur bleue lorsque en mettant ma tête dans le trou pour voir s’il n’y avait pas un serpent caché dedans je me suis rendu compte qu’il était sur le bord de la souche à 20cm de mon œil droit.
Le lendemain soir, j’emmène ma colocataire à la montagne des singes, une splendide forêt primaire. Nous observerons une splendide Helicops angulatus a la livrée orangée magnifique. Le jour suivant je trouve un autre petit serpent rouleau, qui ne semble en fait vraiment pas rare sur la route de Kaw. Son nom scientifique, Anilius scytale, vient du grec anilios qui serait le nom donné à un serpent aveugle de l’île de Chypre, et "scytale" vient du grec skytale, qui signifie bâton, en référence à l’allure de bout de bois de ce serpent avec sa tête pas du tout démarquée du corps.
Encore le lendemain, je retourne au Rorota dans l’espoir de voir quelles autres espèces de serpents je pourrai y observer. Je trouve un très beau petit Thamnodynastes pallidus sur le parking, et dans le sentier, je verrai deux Mastigodryas boddaerti juvéniles. Pas de nouvelles espèces pour moi mais j’ai pu découvrir la livrée juvénile des Mastigodryas, très différente de l’adulte.
Deux jours après, c’est la soirée de FOLIE pour moi. Dans la forêt du bagne des annamites, début extrêmement sec, il n’y a pas un seul animal à observer : pas un lézard, pas un phasme, même les habituels crapauds buffles du ruisseau à l’entrée du sentier ne sont pas là, ça s’annonce vraiment mal. Je ne vois strictement rien et au bout de 40 minutes, je décide de faire demi tour, et découvre… un splendide serpent corail en train de traverser le sentier. Vu sa vitesse, je me serai retourné trois secondes plus tard, je l’aurai loupé, j’ai vraiment une chance incroyable. Il s’agit de Micrurus lemniscatus, c’est une espèce de serpent corail que je n’ai pas encore vu mais que j’espérai voir absolument car j’adore ces serpents. Leur dangerosité, leur allure, leurs couleurs si particulières, leur singularité, ils sont uniques. Comme tous les serpents corail, il est doté d’une denture protéroglyphe, c’est à dire de petits crochets à venin fixes situés à l’avant du maxillaire, la mâchoire supérieure. Son venin est également très neurotoxique. Comme n’importe quel serpent, il cherche à fuir mais si attrapé, il est fourbe et se retournera pour mordre au moment où on l’attend le moins. Nous avons déjà vu ce que voulais dire "Micrurus" (petite queue) et son nom d’espèce, "lemniscatus", vient du latin lemniscus : ruban. Il se nourrit en grosse majorité d’autres serpents mais aussi d’anguilles à l’occasion. La soirée est déjà sauvée, je suis comme un fou. Et 40 mètres plus loin, pour couronner la soirée : une petite couleuvre très commune mais que je n’avais pas encore vu : Leptodeira annulata. C’est un petit serpent ne dépassant pas 80cm. Elle est venimeuse mais inoffensive pour l’homme et ne mord pour ainsi dire jamais même si attrapée. C’est une grande mangeuse de grenouilles, et s’attaque même à leurs œufs. "Leptodeira" vient du grec leptos deira, qui signifie "cou fin", et "annulata" vient du latin annulus qui veut dire "annelé".
Le lendemain, avec mon ami Julien, nous relâchons en lieux sûr un énorme serpent aquatique du nom de Pseudoeryx plicatilis. C’est une énorme couleuvre inoffensive mais au caractère extrêmement irascible et aux longues dents. Les serpents aquatiques étant la plupart du temps piscivores, ont souvent de longues dents pour pouvoir bien agripper leurs proies visqueuses. C’est un serpent très particulier, à l’écaillure ressemblant fortement à celle d’un poisson. Il peut atteindre 1,15m et le nôtre fait bien plus d’un mètre pour sûr. Avant de m’avoir férocement mordu le doigt et le mollet, il repartira dans le marécage (ou "pripri", comme on dit ici) où nous le laisserons vivre sa vie. Son nom de genre, "Pseudoeryx", est une allusion au fait qu’avec sa tête non démarquée du corps et son corps boudiné, il ressemble aux petits boas fouisseurs du genre Eryx qui vivent en Afrique, au moyen orient, et en Asie. "Plicatilis", son nom d’espèce, signifie "plissé" en latin, mais la raison de ce choix n’est pas connue.
Ce jour là, sur la route, nous sauverons aussi des voitures une jolie couleuvre diurne du nom de Phrynonax poecilonotus. C’est un serpent moyen pouvant atteindre 1,80m. C’est un serpent principalement oophage, c’est à dire qu’il se nourrit d’oeufs, en l’occurrence d’oiseaux. Il mange aussi des rongeurs et des lézards. Comme son cousin Spilotes sulphureus que nous avons vu précédemment, il peut gonfler sa gorge d’air pour paraître plus impressionnant. Nous le relâchons loin de la route. Je ne sais pas d’où vient le nom de genre "Phrynonax" mais son nom d’espèce "poecilonotus" vient du grec poikilo (tacheté) et notos (dos), en référence au dos apparemment parfois tacheté de jaune de ce serpent.
Le lendemain, road cruising sur la route de Petit Saut. Nous trouverons une autre Leptodeira annulata, ainsi qu’un beau boa arboricole à la livrée jaune splendide, c’est un Corallus hortulana, comme les spécimens gris vus précédemment. C’est un bel adulte d’environ 1,50m. "Corallus" a été choisi par l’herpétologue Daudin en 1803 en référence aux coralles, un peuple barbare décrit dans les œuvres d’Ovide, car selon lui, ces serpents ont un air traître et méchant. Son nom d’espèce, "hortulana", contraste avec la première explication car vient du latin hortulanus et signifie "jardin" (ce qui leur vaudra leur nom de "garden tree boas" en anglais). Linnée, en 1758, expliquera ce choix en voulant signifier en seul mot que ce serpent est orné de couleurs si agréables et si variées qu’on peut le comparer à un parterre émaillé de fleurs. Nous verrons ensuite un splendide petit Pseudoboa coronata, une couleuvre venimeuse mais également inoffensive pour l’homme. D’un beau rouge, ses écailles semblent transparentes quand on les regarde de près. C’est un serpent qui peut frôler les 90cm et qui se nourrit de lézards, de micro-mammifères et occasionnellement de tout petits serpents. "Pseudoboa" s’explique par le fait qu’à l’époque de sa description (18010), les herpétologues pensaient que seuls les boas avaient les écailles sous caudales (donc sous la queue) de non divisées, entières, ce qui est le cas de cette petite couleuvre. "Coronata" vient du latin corona qui signifie "couronne", en allusion à la marque blanche que ce serpent a sur le dessus de la tête. Ce soir là, nous verrons également un petit grage bien énervé qui aura du mal quitter la route.
La nuit, dans mon hamac, je suis réveillé par une pluie et je ne peux m’empêcher de repartir sur la route me disant que la pluie allait faire sortir les serpents. Je trouverai un serpent peu commun, Atractus flammigerus, avec en plus une livrée vraiment atypique pour cette espèce. C’est un petit serpent totalement inoffensif qui se nourrit exclusivement de vers de terres et qui ne dépasse pas 54cm. "Atractus" vient du grec atractos et signifie "fuseau", en allusion à la forme du serpent, et "flammigerus" vient du latin flammiger, "qui porte la flamme ou le feu", en référence à sa livrée.
Le lendemain, je trouverai encore un joli petit Anilius scytale, ainsi qu’une petite Leptodeira annulata. Les jours qui suivirent, je participai à une expédition de 4 jours sans serpents, avant de rentrer en métropole.
Au total, j’aurai vu une quarantaine de serpents répartis en 23 espèces différentes, ce qui est un bon score car contrairement à une idée répandue, la jungle ne grouille pas de serpents, à mon grand regret. En Europe, il y a une faible diversité d’espèces de serpents. En France par exemple, nous n’en avons que 13 et c’est déjà beaucoup pour notre continent, mais il y a une forte densité de serpents : au pied d’un roncier il n’est pas difficile d’observer une dizaine de serpents sur 200 mètres. Alors que sous les tropiques, c’est l’inverse : il y a une forte diversité d’espèces de serpents (plus d’une centaine pour la Guyane), mais une très faible densité, les serpents sont peu nombreux au kilomètre carré et difficile à observer. Hélas, l’anaconda et le boa émeraude ne furent pas au rendez-vous, malgré une recherche active, ce sera pour la prochaine fois.
Ce rapport de voyage est purement factuel et je l’ai volontairement épuré de tout lyrisme contrairement à mon habitude, souhaitant garder mes récits d’aventures herpétologiques pour mes futurs livres.
Merci à vous de m’avoir lu, n’hésitez pas à laisser vos impressions en commentaire et d’aller faire un tour sur le reste du site.
Guillaume Tessereau
19/09/2021.
Sources principales :
Tout ce qui concerne l’écologie, la morphologie, la venimologie et le comportement des serpents guyanais :
Fausto Starace, Serpents et amphisbènes de Guyane française, Ibis Rouge, 2013.
Tout ce qui concerne l’étymologie des noms scientifiques des serpents :
Rémi Ksas, L’étymologie des noms latins des serpents, Venom World editions. 2015.
Autres sources :
1 – Jonathan A. Campbell et William W. Lamar, The venomous reptiles of the western hemisphere, volume II, 2004, Comstock Publishing Associates, pp. 719, 727.
2 – Chris Mattison, Tous les serpents du monde, Delachaux et Niestlé, 2008, p 45.
3 – Mark O’Shea, Boas and pythons of the world, 2011, p 23.
4 – Peter J. Stafford et Robert W. Henderson, Kaleidoscopic Tree Boas, Krieger publishing, 1996, p 2.
Galeries
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Serpents :
Guillaume Tessereau - Naturamagnifica (vendredi, 24 septembre 2021 04:09)
Salut Pierre-Yves, merci c'est corrigé.
Oui Mike est mon meilleur ami, on s'est rencontrés en bac il y a presque 12 ans, et j'ai rencontré Alex sur place, tout le monde va bien :-)
Oui j'ai eu de la chance pour les Micrurus, surtout pour le surinamensis, un privilège ! J'y pense chaque jour depuis !
vaucher (jeudi, 23 septembre 2021 22:58)
hello, très bien ton texte, par contre relis le, quelques erreurs de frappe ;-) "il me laissera l’approcher à quelques centimètres son montré ", "faire un tour sur le reste site."
Tu as connu Mike, un acharné des arachnides, et Alex, Ler ? comment va t'il ?
Beaucoup de chance de rencontrer ces Micrurus, excellent !